Quand la voiture devient source d’électricité

Par lemonde.fr – 4 min –Afficher l’original

Les Zoé de l’île de Porto Santo, sur l’archipel de Madère, permettent d’absorber une partie de l’électricité photovoltaïque et éolienne. JOAO M. FARIA
Les Zoé de l’île de Porto Santo, sur l’archipel de Madère, permettent d’absorber une partie de l’électricité photovoltaïque et éolienne. JOAO M. FARIA

Une automobile se trouve, en moyenne, immobilisée 95 % du temps. Un véhicule électrique n’échappe pas à cette réalité mais, au contraire d’une voiture thermique, il peut se rendre utile, même à l’arrêt. Sa batterie est susceptible d’être mise à contribution pour stocker de l’électricité mais aussi en restituer vers le réseau afin de contribuer à rééquilibrer le rapport entre offre et demande de courant.

Renault a lancé depuis fin mars deux expérimentations de son système de charge bidirectionnelle aux Pays-Bas et au Portugal avant de l’étendre à sept pays, dont la France, dans le courant de l’année. Egalement appelé charge réversible, cet équipement installé à bord de quinze Zoé transforme une voiture électrique en unité de stockage temporaire. « La recharge s’effectue au maximum quand l’offre est abondante, donc moins chère, notamment lors des pics de production des énergies renouvelables, mais la voiture sait aussi restituer de l’électricité dans le réseau lors des pics de consommation », résume-t-on chez Renault. Les Zoé de l’île de Porto Santo, sur l’archipel de Madère, permettent par exemple d’absorber une partie de l’électricité photovoltaïque et éolienne excédentaire produite sur place à certains moments de la journée et de la réinjecter lorsque cela devient nécessaire.

Mitsubishi estime que l’on peut faire fonctionner pendant dix jours une maison en totale autarcie grâce à la batterie d’un Outlander Phev

Les « réseaux intelligents », qui contribuent à lisser le rapport entre production et consommation, fonctionnent par l’intermédiaire d’un agrégateur, intermédiaire entre le client final et le fournisseur d’énergie. Renault, qui compte déployer ce système « à très grande échelle », proposera d’équiper à partir de 2020 ses futures générations de voitures électriques avec un chargeur bidirectionnel. L’option devrait être facturée quelques centaines d’euros.

Devenir – sans devoir s’en préoccuper, car le système fonctionne de manière autonome – un rouage de la distribution d’électricité permet d’optimiser la facture énergétique de son automobile mais aussi d’être rémunéré. L’essor des réseaux intelligents réclame toutefois de combler certains vides juridiques. « Un véhicule qui charge, stocke et renvoie du courant dans le réseau doit-il être considéré comme un consommateur ou un distributeur d’électricité ? En fait, il n’est ni l’un ni l’autre, mais ce statut n’est encore reconnu nulle part », souligne Nicolas Schottey, responsable du programme batteries et infrastructures des véhicules électriques du Groupe Renault. Selon le constructeur, de nouveaux textes européens devraient être élaborés sans trop tarder. Lire aussi Au Mans, les voitures anciennes deviennent électriques

D’autres constructeurs ont déjà lancé des tests grandeur nature. Nissan a participé au lancement d’une plate-forme commerciale de véhicules connectés au réseau, opérationnelle depuis 2016 au Danemark. Dix fourgons électriques « peuvent faire office de réserve d’énergie mobile » et être sollicités lors des pics de consommation. La même initiative devrait bientôt voir le jour au Royaume-Uni. En Allemagne, le constructeur japonais a obtenu en octobre 2018 que la Leaf soit homologuée non seulement comme un véhicule mais aussi comme « une unité de stockage, susceptible de suppléer le réseau électrique ». Outre-Rhin mais aussi au Danemark, Nissan propose à certains de ses clients de payer une partie des frais de location de leur Leaf grâce au bonus – qui peut atteindre 100 euros par mois – engrangé auprès des gestionnaires de réseaux électriques.

Réduire sa facture

Dans l’écosystème de la voiture électrique, le constructeur doit aller au-delà de son activité de classique vendeur d’automobiles. L’américain Tesla n’a pas encore équipé ses modèles de chargeurs bidirectionnels mais devra, de toute évidence, envisager de le faire. Pour l’heure, il commercialise pour près de 8 000 euros un Powerwall, une batterie domestique de 13,5 kWh, et prévoit de proposer des tuiles solaires. De son côté, Mitsubishi proposera à partir du mois de mai aux propriétaires de son Outlander Phev, un gros SUV hybride rechargeable disposant d’une batterie de 13,8 kWh, de souscrire à la formule « Dendo House » (Dendo est l’acronyme de « conduite électrique », en japonais).

L’offre, valable au Japon et en Allemagne, comprend un chargeur bidirectionnel intégré au véhicule, une batterie domestique ainsi que des panneaux photovoltaïques à installer sur sa maison et un système de gestion de l’énergie. Avec cet équipement, la voiture peut être rechargée avec de l’énergie solaire mais peut aussi alimenter le domicile de son propriétaire ou restituer du courant dans le réseau électrique. Article réservé à nos abonnés Lire aussi La communauté des convertis à la voiture électrique

Mitsubishi estime que l’on peut faire fonctionner pendant dix jours une maison en totale autarcie grâce à la batterie d’un Outlander Phev. Un argument qui pourrait convaincre certains clients japonais, régulièrement confrontés à des coupures de courant provoquées par des typhons ou des délestages. En fonction des tarifs d’achat pratiqués par les fournisseurs d’énergie, l’investissement (20 000 à 25 000 euros, hors coût d’achat de la voiture) pourrait être amorti sur une période de six à neuf ans, assure le constructeur, convaincu que « le prix de l’énergie va doubler entre 2020 et 2040 alors que celui des panneaux solaires va fortement diminuer ». La formule n’est, pour le moment, pas proposée en France, compte tenu des tarifs peu attrayants en vigueur pour le rachat de la production d’électricité d’origine domestique.

Transformer les batteries en autant d’unités de stockage permettrait non seulement de réduire la facture des utilisateurs de voitures propres mais aussi d’atténuer l’impact de l’électrification du parc sur la consommation d’énergie évaluée par RTE, le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, à 7 % de la production totale pour 15 millions de véhicules. Selon Takashi Hiromatsu, spécialiste de la mobilité « zéro émission » chez Mitsubishi, raccorder 10 000 véhicules électriques au réseau équivaudrait à l’apport d’une centrale nucléaire.

Laisser un commentaire