Le « train du futur » est conçu en France : entretien avec Dick Ahlborn, cofondateur d’Hyperloop TT

En posant les premières sections de sa piste d’essai sur l’aéroport de Toulouse Francazal, Hyperloop TT est passée du rêve à la réalité. C’est maintenant que le plus dur commence : la société californienne, installée en France depuis deux ans, doit éprouver sa technologie, mettre sur pied un business model, et surtout convaincre les pouvoirs publics. En sera-t-elle capable ? À l’occasion du congrès « Entreprise du futur », Dick Ahlborn, cofondateur et CEO d’Hyperloop TT, a exposé sa vision du futur des transports et répondu à nos questions.

Dick Ahlborn, fondateur et CEO de Hyperloop Transportation Technologies. Image MacGeneration.

« Plus personne n’aime voyager », assure Dick Ahlborn. Vraiment ? Vraiment : « nous aimons arriver à destination, mais nous n’apprécions pas la procédure qui nous permet d’y parvenir. » Hyperloop TT veut donc « redonner envie de voyager », avec ses capsules à sustentation électromagnétique, censées glisser sans effort dans un tube à basse pression. Il ne s’agit pas seulement de voyager plus rapidement, jusqu’à 1 000 km/h en pointe, mais de voyager plus confortablement.

Tout cela est bel et bien beau, mais Hyperloop TT n’a encore transporté aucun passager. Ce n’est pas un problème technique, promet Dick Ahlborn : « la 1.0 est prête ». La première capsule, fabriquée en Espagne, doit prochainement rejoindre le centre de recherche d’Hyperloop TT à Toulouse. Le premier système expérimental fermé, d’une longueur de 320 mètres, sera remplacé cette année par une piste de 1 000 mètres.

« La technologie est plus avancée qu’on ne pourrait le croire », même si les premiers essais montrent combien il sera difficile d’atteindre les 1 000 km/h espérés, ou même « seulement » de battre les records établis par des trains plus conventionnels. En s’implantant à Toulouse, toutefois, Hyperloop TT a mis toutes les chances de son côté. L’aéroport de Francazal est progressivement transformé en grande plateforme d’expérimentation des transports du futur, et la société peut puiser dans le vivier de l’industrie aéronautique.

Après tout, une capsule n’est rien d’autre qu’un avion sans ailes. Un avion qui n’a besoin ni d’un aéroport, ni d’une piste de décollage, mais seulement d’un tube de 4 mètres de diamètre placé sur des pylônes à 5,8 mètres du sol. Une infrastructure relativement légère, qui peut reprendre une ligne de chemin de fer désaffectée (la société canadienne Transpod envisage de reprendre 3 km d’une ligne près de Limoges), ou doubler une voie routière (à condition de pouvoir tailler en ligne droite).

Non, le principal frein, c’est la réglementation. « Nous partons d’une feuille blanche, explique Dick Ahlborn, parce qu’Hyperloop n’est ni un train ni un avion. » Un obstacle qui est aussi une chance : « nous ne sommes pas encombrés par la législation existante, nous devons créer un nouveau jeu de lois. » Mais ce n’est pas (encore) l’entreprise qui fait les lois, et elle doit donc convaincre les gouvernements du monde entier du bien-fondé de son approche.

Toulouse, qui veut devenir la capitale mondiale du transport avec Airbus et plus récemment les activités métro de Siemens, n’a pas été dure à convaincre. En Allemagne, l’organisme de certification TÜV SÜD et le réassureur Munich Re ont esquissé les contours d’une réglementation sécuritaire et d’un mécanisme d’assurance du système. Hyperloop TT a pris langue avec les gouvernements français, allemand, ukrainien, indonésien, sud-coréen, chinois, et bien sûr américain.

L’arrivée d’une section de la piste d’essai à Toulouse. Image Hyperloop TT.

Entouré de chefs d’entreprise dans un congrès dédié à l’entrepreneuriat, Dick Ahlborn tient un discours très libéral, aux accents parfois antiétatiques. Fustigeant « les transports en commun [qui] ne sont pas rentables une fois que l’on enlève les subventions », il veut financer le déploiement du réseau Hyperloop sur ses fonds propres1, et atteindre la rentabilité sous 8 à 12 ans. Même si « les partenariats public-privé sont indispensables en Europe », il n’ira pas construire une ligne « sans que cela soit sensé d’un point de vue économique ».

Sur ce plan, l’Américain d’origine allemande estime que « la situation européenne, avec des villes très denses et très proches, est bien adaptée ». Un projet mené par l’École des mines imaginait relier Saint-Étienne à Lyon (50 km environ) en huit minutes, en doublant l’une des lignes de TER parmi les plus fréquentées de France. À l’évocation de ce projet, Ahlborn semble dubitatif. Comme « la France et l’Espagne sont des leaders du train à haute vitesse », il regarde plutôt vers l’est, et notamment vers une future ligne qui devrait relier Prague à Bratislava.

En reprenant des technologies d’autres industries, en surélevant le tube de transit pour limiter son emprise au sol, en installant des panneaux solaires pour assurer une partie des besoins énergétiques, Hyperloop TT veut abaisser le prix au kilomètre au maximum. « Les frais de maintenance et d’exploitation seront moins élevés que ceux du train », dit ainsi Dick Ahlborn. À tel point que le ticket pourrait être… gratuit.

« Quintero One », la première capsule Hyperloop fabriquée à taille réelle avec une structure complète. Dessinée par PriestmanGoode, que l’on connaît notamment pour son travail sur la première classe d’Air France, elle a été fabriquée par Airtificial au Puerto de Santa María, dans le sud de l’Espagne. Composée de 82 panneaux de fibre de carbone et de Vibranium, un matériau composite conçu par Hyperloop TT, elle mesure 32 mètres de long pour un poids de 5 tonnes, et pourra transporter entre 28 et 40 passagers. Avec un départ toutes les 40 secondes, le système pourrait transporter 160 000 personnes par jour.

Oui, « gratuit », vous avez bien lu. « Nous voulons changer le modèle économique du transport en commun, explique Dick Ahlborn, nous ne voulons pas faire payer le voyage lui-même, mais les services associés. » Pour comprendre cette idée, il faut revenir au début de notre article. Hyperloop TT veut « redonner envie de voyager », avec une nouvelle « expérience à bord », des services uniques. Lesquels ? À ce stade, le CEO ne veut pas donner de détails.

En décrivant son propre voyage transatlantique, il donne toutefois quelques pistes. Il n’est pas question de transformer les capsules en bureau mobile, les trajets seront trop courts, mais plutôt de proposer « une offre de divertissement » payante. Tout en rejetant l’idée d’encarts publicitaires traditionnels, Dick Ahlborn évoque des partenariats promotionnels. Une chose est sûre : Hyperloop TT veut éviter « l’ennui ».

Dick Ahlborn imagine un futur dans lequel les voitures et navettes autonomes assureraient les dessertes sur de petites distances, en complément de l’offre publique de transports en commun. Hyperloop et d’autres systèmes doivent concurrencer la voiture individuelle, et favoriser la décarbonation des transports2, sur des distances plus longues. Reste à savoir à quelle échéance. Hyperloop TT a signé des accords pour commencer la construction d’un système commercial à Abou Dhabi et en Ukraine, ainsi qu’en Chine, mais la route est encore longue.


  1. Ce qui ne l’a pas empêché d’accepter plusieurs millions d’euros de subventions de la région Occitanie. ↩︎
  2. Ce qui pose la question de la compatibilité du système avec le transport de marchandises, l’une des activités les plus polluantes. Hyperloop TT a signé plusieurs accords dans ce sens, et veut développer une capsule cargo. ↩︎

Source : Le « train du futur » est conçu en France : entretien avec Dick Ahlborn, cofondateur d’Hyperloop TT | MacGeneration

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